Becoming a designer by accident

Becoming a designer by accident

Crédits photo : Jonathan Wong | Tagged

Venu d’Afrique

Je suis né à Sfax, la deuxième ville de Tunisie. Mon père était professeur : il venait de décrocher son diplôme et de commencer à enseigner l’anglais à l’université. C’est là qu’il a rencontré ma mère, qui était à moitié française.

J’ai passé les quatre premières années de ma vie en Afrique du nord (Tunisie, Égypte et Suez) puis j’ai déménagé à Huddersfield (dans le nord de l’Angleterre), ce qui a été un choc culturel. J’ai fréquenté un collège généraliste à Holland Park qui à l’époque craignait un peu. Il était connu pour son éducation expérimentale. Les gamins étaient sauvages et l’enseignement restreint, mais il y avait une super section art. Ça a été mon refuge.

La céramique a été ma première rencontre avec la nature ­transformationnelle­ du design, sans même le réaliser. Quelque part au cours de ces quelques années passées à patouiller avec de l’argile m’est venue l’idée que les matériaux pouvaient être transformés en quelque chose de bien plus précieux. C’est toujours ce que je fais à ce jour.

L’école de la vie

Tom Dixon Pottery

J’ai quitté l’école sans savoir quoi faire. J’ai passé six mois à la Chelsea School of Art, et ça ne m’a pas du tout convenu. J’ai eu un accident de moto et je me suis cassé la jambe. J’étais dans un groupe de musique funk-disco, Funkapolitan, (à l’époque tout le monde était dans un groupe, c’est comme aujourd’hui où tout le monde est DJ) et nous avons gagné en notoriété à Londres. Nous avons signé avec un label et sommes partis en tournée en tant que première partie de Simple Minds, The Clash, Ziggy Marley…

On s’est retrouvés à New York et on a vu les débuts du hip-hop. On a acheté un tas de disques et commencé à les passer dans une boîte de nuit. C’était une super manière de gagner sa vie en ne travaillant que les vendredis et samedis soirs, et le reste du temps on pouvait faire autre chose. Notamment de la soudure. À partir de là est né un travail à part entière.

Au début, je n’ai même pas réalisé que j’étais un designer. Mais travailler en boîte de nuit apporte tout un lot de contacts assez superficiels, et ces personnes en question étaient coiffeurs, designers de mode, photographes ou scénographes et avaient tous des besoins différents. C’est parti de là.

L’HOMME DE L’IMPRÉVU

« J’avais appris que l’on pouvait créer son propre business en faisant de la musique : il suffisait de choisir un instrument, d’apprendre à en jouer, de créer son propre morceau et tout à coup, on venait de signer un contrat avec un label. J’ai réutilisé cette mentalité de self-made-man envers ce que nous faisions à ce moment. Ce n’était pas prévu, c’était simplement une évolution. Mais tout s’est toujours passé un petit peu mieux que je ne l’avais imaginé, donc il est possible que ce soit encore mieux que d’avoir un plan.

Dès le début, je fabriquais des choses et les vendais. Donc l’aspect commercial n’a jamais été séparé de l’aspect design. Si je n’arrivais pas à me débarrasser d’une pièce, si elle restait là dans mon studio, je ne pouvais rien créer d’autre : je n’avais ni argent ni espace pour les matériaux. L’aspect transactionnel de la chose me donnait confiance en la valeur de mon travail, et me permettait de passer à la prochaine pièce. Je n’ai jamais séparé les affaires et le travail, contrairement à beaucoup de designers dignes de ce nom.

INTÉGRER LES PROCÉDÉS

J’ai encore du mal à me considérer sérieusement comme un véritable designer. J’ai des idées et j’aime voir si je suis capable de leur donner corps, et si les gens les achètent. Ces idées peuvent être banales ou géniales, mais une grande partie du processus à affaire avec la corvée d’arriver à obtenir quelque chose à un bon prix, ou de travailler les finitions invisibles d’un objet, ou d’obtenir le bon fini, ou de faire rentrer le produit dans la bonne boîte pour ensuite le transporter autour du monde.

J’ai défini mon propre style, une tâche de plus en plus difficile pour les gens. Tout est tellement public de nos jours. Il est plus facile de s’afficher internationalement, mais arriver à développer une ligne de travail résolument différente est une tâche difficile. On publie un produit sur Instagram avant même qu’il soit prêt. Si tu fais quelque chose d’intéressant, les gens sautent dessus : mais cette visibilité étendue veut aussi dire que les choses perdent leur intérêt avec une grande rapidité.


« L’industrie du meuble ce n’est pas comme sortir la chanson de l’année. À aucun moment on vient vous dire que vous êtes numéro 1 » - Tom Dixon


PLUS INSTINCTIF QUE CÉRÉBRAL

L’industrie du meuble ce n’est pas comme sortir la chanson de l’année. À aucun moment on vient vous dire que vous êtes numéro 1. Les gens achètent des meubles très lentement, donc tu ne vois jamais le moment où tout bascule. Quand quelque chose a du succès, ça peut souvent être lu de plusieurs manières différentes. Il y a plein d’objets que j’ai fabriqués qui ont été désignés comme féminins ou masculins, alors qu’il s’agit du même objet. Je vois ça comme un succès, d’une certaine manière.

J’aime les anecdotes, comme tout le monde, mais souvent ce sont des rationalisations a posteriori. Je dois sûrement être plus instinctif que cérébral. Créer des designs (à la différence de l’art ou de la sculpture) te donne un cadre formel. On attend un certain degré de fonctionnalité, et je me sens plus à l’aise avec une certaine dose de restrictions. Ça doit pouvoir soutenir quelqu’un, ça doit pouvoir verser un liquide, ça doit pouvoir s’illuminer.

Screw tables and chairs with Curve lighting launched at Orgatec

UN JIMMY HENDRIX EXOTIQUE

Même au début, les gens qui s’intéressaient à mon travail étaient japonais ou allemands, mais très peu souvent anglais. Alors quand j’ai créé ma marque, je savais qu’il y aurait un élément international. Souvent on est plus exotique à l’étranger que dans notre propre pays. Tout comme Jimmy Hendrix, il faut partir ailleurs pour devenir populaire chez soi. Ce qui ­m’inspire en Asie, c’est sa production industrielle. La Corée est extraordinaire : c’est un pays qui pèse à présent et qui a connu une transition massive, ils ont arrêté de copier et créent leur propre propriété intellectuelle.

LES RÉVOLUTIONS DU DESIGN

Une toute nouvelle révolution industrielle est en cours, portée par la numérisation, sans que personne ne le remarque vraiment. Ce n’est pas aussi immédiat que d’autres types de révolutions, mais ça va assurément permettre aux gens de fabriquer des trucs depuis leur ordinateur. Tout le monde est obsédé par l’impression 3D, et ce n’est pas un souci, mais ça ne fait que produire des petits bouts de plastique. Les cerveaux les plus créatifs sont en train de travailler sur une échelle moins tangible ou même microscopique. Je pense que l’on va bientôt connaître une autre révolution : celle de la bio-ingénierie, des nanotechnologies ou des matériaux synthétiques non pétrochimiques.

Accretion Chair somewhere in the Bahamas

FABRIQUE DE MEUBLES SOUS-MARINE

Je travaille sur un projet avec Ikea, une situation à la David et Goliath où ils s’intéressent à moi pour une chose et je m’intéresse à eux pour une autre. Je les respecte et leur offre une grande partie de mon temps. C’est la seule entreprise qui transforme l’industrie du meuble.

J’ai un autre projet en cours aux Bahamas, où je fais pousser des meubles sous l’eau. C’est un projet à moitié conceptuel, à moitié ­basé sur le développement durable. J’ai découvert dans les années 70 un scientifique qui essayait de faire pousser du corail artificiel dans l’idée de créer des villes sous-marines. Ça n’a bien sûr jamais marché, mais je me suis inspiré de cette idée pour mettre en place une ferme de meubles sous-marine. Je fais des essais.

Cet entretien avec Tom Dixon a été mené au ALTO Bar and Grill par ADAM WHITE pour le South China Morning Post à Hong Kong.